Fléa
Je m'appelle Fléa.
Il semble que j'ai 3 ans, peut-être moins, personne n'est sur. Nous les chats, il parait que ça se voit à nos dents, je ne peux pas dire, quelle importance d'ailleurs ?
Je suis née au sein d'une colonie errante, ils étaient mes amis, ma famille, les miens.
Il y avait une vieille humaine qui nous nourrissait devant sa maison mais elle nous faisait aussi un peu peur car les adultes racontaient que, quand une maman cachait mal ses bébés et que la vieille humaine les trouvait, on ne les revoyait plus jamais.
Il faut croire que maman m'avait bien cachée car il ne m'est rien arrivé et, quand j'ai été en âge de la suivre pour les repas, je suis allée manger devant chez la vieille humaine qui ne m'a fait aucun mal. Je crois qu'elle ne s'attaquait qu'aux tout-petits, aux juste-nés.
La vie n'était pas simple mais, comme je n'en avais jamais connu d'autre, je ne me rendais pas compte.
Nous étions nombreux et nous vivions dans une construction humaine abandonnée qui nous abritait du vent et de la pluie.
Les mâles se bagarraient tout le temps et les femelles faisaient des bébés toute l'année.
Bien sur, à part la vieille humaine, les voisins ne nous aimaient pas beaucoup, ils nous chassaient dès que nous passions près de chez eux et aucun de nous n'a compris pourquoi, car nous ne leur faisions aucun mal, d'ailleurs nous en avions peur.
Le pire, c'est que certains chats qui rejoignaient la colonie nous racontaient qu'ils avaient vécu avec des humains, qu'ils avaient partagé leurs vies jusqu'à ce qu'on les jette à la rue. Ces chats là arrivaient chez nous attirés par nos odeurs rassurantes, ils venaient timidement, devaient souvent se battre pour s'intégrer mais ils savaient qu'ils seraient nourris et qu'ils pourraient s'abriter alors ils auraient tout fait pour être acceptés par la colonie.
Ces chats d'humains, ils devaient tout apprendre, ils ne comprenaient même pas ce que nous disions, ils étaient si fragiles. Quelquefois, ils n'avaient vécu qu'à l'intérieur des maisons et n'avaient même pas de poil d'hiver, sans la colonie, ils n'auraient pas survécu.
Les journées succédaient aux nuits, nous survivions. Certains souffraient, certains mourraient, certains naissaient et parvenaient à grandir. La vie s'écoulait, nous vivions aussi discrètement que possible car nous avions déjà compris que les humains ne nous aiment pas et que c'est une espèce cruelle et dangereuse. Ceux d'entre nous qui avaient mal appris cette leçon ou qui avaient été des chats d'humains et tentaient de retourner dans leur monde le payait souvent de leur vie.
Un jour, des humains sont venus dans notre "maison". Nous avons tous fuit et nous les observions de loin. Les humains exploraient chaque recoin, soulevaient des planches tombées, fouillaient les gravats, grimpaient les escaliers branlants, nous ne comprenions pas du tout ce qu'ils cherchaient. Nous les avons vu discuter avec notre vieille humaine, elle avait l'air triste, elle haussait les épaules, nous sentions que quelque chose de grave se préparait.
Les humains sont revenus plusieurs fois, notre vieille humaine ne nous nourrissait plus et aucun d'entre nous ne comprenait pourquoi. Chaque soir, nous allions attendre sous ses fenêtres, la faim nous torturait et elle nous regardait d'un air désolé.
Un matin, les mêmes humains sont venus, ils ont posé de grands tunnels grillagés dans notre maison et ils y ont déposé des aliments à l'odeur irrésistible. Ils se sont assis et ont attendu. Au début, nous attendions aussi, nous ne comprenions pas du tout ce qu'ils voulaient, nous avions faim mais nous étions méfiants.
Les plus téméraires d'entre nous, après une longue attente, ont décidé d'aller voir de plus près les tunnels grillagés. Pendant de longues heures, ils ont tourné autour, reniflé la nourriture au travers du grillage, les humains ne bougeaient pas, ils parlaient entre eux, semblaient ne pas faire attention à nous.
A un moment, il a bien fallut que l'un d'entre nous se décide. C'est un petit rouquin, qui avait été un chat d'humain et ne les craignait pas, qui a décidé d'entrer dans le tunnel.
Horreur ! Au moment où il atteignait la nourriture, une trappe jaillie d'on ne sait où s'est rabattue derrière lui et il s'est trouvé prisonnier. Ce petit crétin avait l'air tout étonné, les humains sont venus, lui ont parlé, ils ont installé une boite en face du tunnel, ont ôté la trappe qui le retenait prisonnier et l'ont incité à entrer dans la boite.
Dans les heures et les jours qui ont suivi, poussés par la faim, d'autres mâles se sont crus malins, persuadés qu'ils pourraient voler la nourriture dans le tunnel sans se faire piéger. Ils avaient tord.
Nous les femelles, surtout celles qui, comme moi, attendaient des bébés, nous ne voulions à aucun prix nous aventurer dans les tunnels grillagés, la faim était dévorante, nous n'avions rien mangé, ou si peu, depuis plusieurs jours mais nous avions compris que ceux qui partaient dans les boites ne revenaient pas et nous ignorions ce qu'il advenait d'eux.
Peu à peu pourtant, il a bien fallut se résoudre à tenter notre chance. L'une d'entre nous avait réussi à ne pas déclencher le piège et à s'y nourrir, nous pensions donc que c'était faisable. Un après-midi, les humains étaient là, ils attendaient encore, les tunnels étaient là aussi, je n'en pouvais plus, j'étais épuisée par la faim et les petits dans mon ventre lourd, j'ai attendu pendant des heures, jusqu'à la nuit qui nous avait toujours protégés puis je me suis rapprochée de cette nourriture tellement attirante.
J'étais à bout de force, je me suis dit que, quoi qu'il arrive, je devais manger sinon je ne survivrai pas. Je suis entrée dans le tunnel.
Au moment où j'atteignais la nourriture, j'ai entendu le claquement sec de la trappe derrière moi. J'ai paniqué, j'étais piégée, coincée, à la mercie des humains et de leurs sales manigances, de leurs ruses et de leur cruauté.
Je me jetais contre le grillage, oubliant toute faim, je voulais fuir, je ne raisonnais plus, j'étais terrorisée.
Evidemment, je ne suis pas parvenue à sortir. Les humains ont posé une boite devant le piège, ils ont ôté la trappe mais je n'étais pas décidée à leur faciliter la tâche, je ne voulais pas entrer dans cette boite et être emportée.
Ils m'ont poussée à l'aide de planches, réduisant l'espace qui me séparait de la boite, j'étais folle de terreur, tentais désespérément de fuir, balançais des coups de pattes, toutes griffes dehors, dans le grillage et crachais dans l'espoir de leur faire peur.
L'espace se réduisait, j'avais beau me tasser sur moi-même, finalement, il m'a bien fallu entrer dans cette maudite boite en plastique. Une fois à l'intérieur, je me suis résignée, je savais qu'il était inutile d'essayer encore, j'ai commencé à attendre que l'occasion de m'enfuir se présente.
Les humains ont placé la boite dans laquelle je me trouvais auprès d'autres boites qui contenaient certains de mes amis piégés avant moi. Nous avons été emmenés en voiture, puis la voiture s'est arrêtée et toutes les boites contenant mes amis ont été emmenées, je suis restée seule dans le véhicule.
Au deuxième arrêt, ma boite a aussi été sortie de la voiture, on m'a trimballée un peu, puis la boite à été ouverte dans une cage. Décidément, je commençais à penser que je n'en sortirai plus, que j'étais dorénavant condamnée à vivre prisonnière.
Pendant 1 jour et 2 nuits, on m'a laissée en cage, dans une pièce fermée, j'avais beau pleurer et appeler mes amis, j'étais toute seule, j'avais peur. Chaque fois que les humains approchaient de la grille, je crachais, je tapais les barreaux, je tentais de les impressionner, je craignais le pire quand ils mettaient leurs mains dans la cage, même s'ils ne le faisaient apparemment que pour me nourrir ou nettoyer.
Le deuxième jour, on m'a contrainte à nouveau à entrer dans la boite en plastique, je n'ai même pas essayé d'y échapper, cette petite boite sombre me semblait finalement moins angoissante que la grande cage. On m'a encore trimballée, emmenée dans un endroit porteur d'odeurs d'animaux et, inexplicablement, je me suis endormie. Quand je me suis réveillée, j'étais dans la boite en plastique, j'avais une oreille qui me démangeait et mon ventre avait dégonflé mais il me faisait mal. On m'a à nouveau trimballée puis remise dans la cage. Je n'avais pas vraiment la force de lutter, alors je pleurais et j'appelais ma colonie perdue, j'aurais eu tant besoin de sentir la présence rassurante des miens. Les humains venaient me voir, ils parlaient doucement, gentiment, mais je ne les supportais pas, j'étais prisonnière par leur faute, et j'avais peur sans arrêt. Je ne comprenais pas ce qu'ils voulaient de moi.
Pendant une éternité, ils m'ont laissée dans la cage, dans la pièce fermée. Je sentais la présence d'autres chats inconnus au-delà de la porte mais, comble de cruauté, on m'empêchait de les rencontrer alors que je me sentais si désespérément seule.
Les jours succédaient aux nuits, je rêvais que je m'enfuyais, j'essayais de me souvenir de mes amis, de ma famille. Je dormais dans le bac de litière parce que l'odeur me rassurait. Cette solitude me broyait le coeur, j'appelais les miens mais alors, c'était les humains qui venaient et je me sentais encore plus mal parce que la trouille s'ajoutait au chagrin.
Un matin, alors que je n'espérais plus rien, l'humaine est venue, elle a ouvert la porte de la pièce, puis la porte de la cage et elle s'est écartée pour me laisser sortir. Je n'en croyais pas mes yeux, je me demandais quel nouveau mauvais tour cachait cette libération tant attendue.
Prudemment, j'ai avancé, m'attendant à chaque seconde à voir débuter un nouveau cauchemar. Dès que je me suis trouvée juste à l'entrée de la cage, j'ai regardé l'humaine, vérifié que je pouvais filer et... je me suis élancée sur ce sol étrange et doux où mes pattes n'accrochaient pas du tout. J'ai couru, regardant fébrilement à droite et à gauche à la recherche d'une cachette que j'ai vite trouvée et dans laquelle je me suis faufilée.
Je suis restée cachée pendant une éternité. Les chats de la maison venaient me voir, il y avait un grand chat noir qui parlait la langue de la rue et m'expliquait que j'étais en sécurité. A le voir aussi détendu, j'avais vraiment envie d'y croire.
Pendant plusieurs jours, je suis restée cachée, je ne sortais que la nuit pendant que les humains dormaient et j'explorais ce nouveau territoire. Je cherchais une issue, je tournais en rond, c'était si petit et si... fermé.
J'observais tout. Les humains n'étaient jamais menaçants et les chats qui vivaient ici n'étaient pas inquiets, pire même, ils recherchaient le contact des humains, se laissaient toucher, manipuler. Non seulement ils n'avaient pas peur mais ils semblaient y prendre plaisir.
Comprenant que je n'étais plus en danger et que, pour rester en contact avec les chats des lieux, il me fallait vivre hors de ma cachette, je suis sortie. Je surveillais les humains et, au moindre mouvement de leur part, je filais, mais pour revenir tout de suite car ils ne me poursuivaient jamais.
Peu à peu, j'ai pris possession de tout le territoire. Je restais près des autres chats, ils m'apprenaient ce que sont les humains et comment l'on communique avec eux pour profiter sereinement de ce qu'ils ont à nous offrir.
J'observais, j'enregistrais, je comprenais, j'imitais. La terreur avait laissé la place à la curiosité et à la prudence. Souvent, les humains tendaient la main vers moi, j'esquivais le contact mais je m'éloignais de moins en moins, j'avais presque envie de savoir ce qu'on ressent quand ils nous touchent sans brutalité. Après tout, cette nouvelle vie présentait beaucoup d'avantages : je pouvais dormir tranquille, je n'avais plus jamais faim, et plus jamais froid, toute violence avait disparu, la peur s'éloignait, je me sentais plus reposée et plus calme.
J'en étais arrivée à vivre simplement en profitant de ma nouvelle vie et de mes nouveaux camarades quand l'humaine à prit l'habitude de s'enfermer chaque jour avec moi dans la chambre où j'aimais me prélasser.
Elle me parlait longuement, me suivait chaque fois que je changeais de place, tendait les mains vers moi. Je fuyais bien sur, un peu inquiète de me trouver encore enfermée, mais une ou deux fois, l'un des autres chats s'est trouvé enfermé avec nous et comme il ne montrait aucune peur, je me suis dit qu'il n'y avait sans doute pas de danger.
Un matin, après l'avoir feintée un moment, j'ai laissé l'humaine me toucher, pour voir... J'étais crispée, très mal à l'aise, mais elle ne m'a fait aucun mal. Je ne comprenais pas encore pourquoi mes camarades aimaient ce contact, mais au moins, ce n'était pas douloureux.
Un autre jour, l'humaine m'a à nouveau touchée, elle insistait, passait sa main sur ma tête et mon dos alors, par curiosité, je me suis arrêtée et l'ai laissée faire. Il y avait cette sensation nouvelle qui me venait de ma peau, une sensation plus appuyée que quand nous, les chats, nous frottons les uns aux autres, mais une sensation agréable, quelque chose qui me donnait envie de rester sous la main.
Plusieurs fois, j'ai laissé l'humaine me caresser, j'y prenais plaisir mais, quand elle ouvrait la porte, je filais quand même car les vieux réflexes de sauvegarde qui m'avaient maintenue en vie jusque là étaient encore bien présents. Et puis, un matin, elle me caressait, elle a ouvert la porte, je suis descendue du lit pour filer et, arrivée à la porte j'ai réalisé qu'enfin je n'avais plus aucune raison de fuir. Quand je suis remontée sur le lit pour prolonger les caresses, l'humaine me regardait avec des larmes plein les yeux.
Le temps a passé, même si à l'intérieur on se rend moins compte, j'ai continué d'apprendre. Maintenant, les humains me prennent quelquefois dans leurs bras, je n'apprécie pas vraiment et ne comprend pas encore pourquoi ils font ça mais ça viendra, je leur fait confiance.
Il y a quelques semaines, une amie de mon ancienne colonie nous a rejoints, elle s'appelle Agathe. Elle était terrifiée elle aussi et se cachait. Je suis allée la voir plusieurs fois, je lui ai dit "regardes-moi, laisses-moi te guider, je vais t'expliquer". Alors, Agathe est sortie, m'a suivie, m'a imitée, elle aussi aime les caresses et les câlins, elle est en train de comprendre.
Je m'appelle Fléa, je suis née dans la rue mais, parce que des humains m'ont traitée avec patience et douceur, j'ai pu apprendre à vivre avec eux.
Agathe et Fléa
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